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Mauvais Élève: Episode 6 - Des enfants de bonne famille

Au quartier de la gare, on se dispute à propos de l’école. Et des parents aisés exercent de l’influence.

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35 min

Rui Da Costa Je n’ai jamais voulu que mes enfants aillent dans une école privée. ça n’a jamais été mon truc, parce que je viens d'une famille modeste. Mais je ne voulais pas qu'ils aillent à l’école dans la rue de Strasbourg.

Jean-Marc Cloos Cette école a une réputation selon laquelle on ne peut pas entrer au lycée après. On n'a pas de classement des écoles fondamentales dans ce pays, mais ce classement existe dans la tête des parents.

Luc Sinner Tous les parents veulent le meilleur pour leurs enfants. Cela vaut pour moi, comme pour les autres, chacun essaie de se positionner de façon à ce que ses enfants aient des chances de réussir.

Pia Oppel Le sujet de cet épisode est le pouvoir des parents dans notre système scolaire. Aujourd'hui, je vous emmène encore une fois dans le quartier de la Gare en Ville, où ce podcast a commencé dans le premier épisode.

Ces dernières années, l’école du quartier de la Gare a été le théâtre de nombreuses controverses, notamment à propos d'une question d'organisation qui, à première vue, semble assez banale. C'est-à-dire la question comment les enfants du quartier sont répartis dans les deux bâtiments scolaires. Il s'agit de la taille des classes, des ressources de personnel et des chemins d’école. Mais les inégalités sociales sont un autre enjeu. Et aussi l’influence des parents mieux situés qui interviennent dans l’intérêt de leurs enfants.

Mon nom est Pia Oppel. Je suis journaliste pour radio 100,7. Et dans ce podcast, je vous raconte l'histoire d'un mauvais élève. Il s'agit de notre système scolaire qui s’en tire plutôt mal en comparaison avec les équivalents internationaux. Et où les résultats scolaires des enfants dépendent beaucoup de la situation financière de leurs parents.

Et comme à chaque fois, voici le petit rappel, que la version luxembourgeoise de cette série podcast a été publiée en 2022.

Mauvais élève, un podcast de radio 100,7. Épisode 6: Des enfants de bonne famille.

Alvine Karlé An dann Obaida, du kanns d'Tafel ofmaachen.

Pia Oppel Peu après huit heures du matin dans la rue du Commerce, quartier de la Gare en Ville. Un cours de mathématiques en sixième année d’école fondamentale.

Alvine Karlé Vous pouvez déjà prendre votre livre de mathématique. Das Rechenbuch könnt ihr schon auf die Bank legen.

Je m’appelle Alvine. J'ai 26 ans. Je viens du quartier Belair en Ville de Luxembourg.

Und dann lest ihr Mal die Aufgabe eins, Seite 71. Page 71.

En maths, je travaille en français et en allemand. Enfin, il faut parfois expliquer l’une ou l’autre chose encore une fois en luxembourgeois. Parce que même si les élèves parlent des langues différentes à la maison, ils parlent luxembourgeois entre eux. Et c'est la langue qu’ils maîtrisent le mieux en ce qui concerne la compréhension et l’oral.

Gibt es Sachen wo ihr nicht verstanden habt? Ja?

Obaida Pfand.

Alvine Karlé Was ist Pfand? C'est quoi consigne, des bouteilles consignées?

Pia Oppel Alvine Karlé passe un tiers de la leçon à expliquer le vocabulaire de l’exercice de maths.

Alvine Karlé Ihr sollt jetzt hier schauen, was wird mich am billigsten? Wenn ich ein Tetra-Pack kaufe. Si j'achète des briques. Si j'achète des bouteilles non consignées.

Pia Oppel Les élèves se mettent au travail.

Obaida Mir maachen dat gedeelt duerch dräi. Dat ass 0,25. Herno wéi vill brauche mir ...

Je m’appelle Obaida. J’ai douze ans. Mes passe-temps sont le foot et le basket. Je viens de Syrie et je parle arabe chez moi.

Boubacar Je suis Boubacar. J'ai douze ans. J'aime beaucoup le basket, c'est mon passe-temps.

Pia Oppel Où es-tu né ?

Boubacar En Guinée.

Pia Oppel Un quart d'heure plus tard, Obaida et Boubacar n'ont pas trouvé quel jus d'orange est le moins cher. Alvine Karlé leur donne un indice.

Alvine Karlé Ihr müsst nur Mal zwei machen.

ObaidaAh jo, ok, ok, ok.

Alvine Karlé Gell?

Obaida Hues du gesinn? Easy peasy.

Alvine Karlé C'est vraiment assez difficile pour eux. Enfin, pas pour tout le monde. Il y a toujours des enfants qui comprennent mieux, mais pour la plupart, c'est plus difficile. C'est pourquoi je dois beaucoup expliquer au début. Et ensuite, ils travaillent souvent en groupe parce que c'est plus facile pour eux.

Es ist nicht schlimm, wenn ihr nicht fertig seid. Wir machen das nach den Ferien weiter.

Pia Oppel Le cours de maths est terminé. Aucun groupe n'a résolu le problème.

Alvine Karlé Haaptsaach dir hutt elo bëssi iwwerluecht. Et geet am Fong vill dorëmser, bëssi selwer iwwerleeën.

J'ai des enfants qui ont l'âge “normal”. C'est à dire onze, douze ans. Mais la plupart des enfants est plus agée. Ils ont déjà redoublé une classe. Respectivement, à leur arrivée à Luxembourg ils ont été recalés d’un an ou deux.

Pia Oppel C’est une école où il y a beaucoup de va-et-vient parmis les élèves. Peux-tu nous décrire un peu comment tu vis cette situation ?

Alvine Karlé Au quotidien, c'est parfois difficile. Enfin, on s'y habitue. Tout est une question d'organisation, d'habitude. Souvent, on nous informe un jour, parfois quelques heures, avant que les nouveaux enfants n’arrivent. Enfin, c’est le service de l'enseignement. Mais ils n’y peuvent rien non plus, parce que les parents viennent de les inscrire à ce moment-là. Et puis, le lendemain, les enfants arrivent tout de suite à l'école. On reçoit parfois un mail le soir, ou l'après-midi: tu auras un nouvel élève. Et puis, c'est un peu dans le genre “débrouille-toi”, disons.

Pia Oppel En ce moment, tu as un à deux élèves de ta classe qui pourraient aller dans un lycée classique. Est-ce que c’est la moyenne pour cette école ?

Alvine Karlé Oui, en partie. Cela dépend aussi un peu des classes que l'on a. Parfois on a des classes plus faibles, parfois des classes plus fortes. Mais en soi, il n'y en a probablement pas autant que dans les autres écoles.

Pia Oppel Tous les élèves de la classe d'Alvine Karlé sont issus de milieux modestes et parfois précaires.

Alvine Karlé Je trouve ça dommage, en fait. Je pense que beaucoup de gens n'envoient plus leurs enfants à l'école ici à cause du quartier. Et parce qu'ils pensent peut-être: oh, c’est une mauvaise influence. Peut-être qu'il y a des enfants là-bas, dont les parents travaillent en tant que dealers de drogue ou quelque chose dans ce genre. C'est peut-être possible, je ne peux pas dire exactement. Mais les enfants que j'ai ici sont très gentils. Je suis tellement contente d’être avec eux. Je ne peux plus m’imaginer autre chose. Je suis vraiment heureuse. Et je viens d'un quartier très privilégié, je dois l’avouer. Mais je pense que je ne veux plus du tout travailler ailleurs.

Pia Oppel Pourquoi?

Alvine Karlé Je ne sais pas, c’est en quelque sorte une école avec un grand cœur.

Pia Oppel Un sex-shop est situé en face de l'école, rue du Commerce. Il y a des prostituées sur le trottoir. Une scène de drogue ouverte marque cette partie du quartier. À 500 mètres à vol d’oiseau de l'école dans la rue du Commerce, se trouve un autre bâtiment qui fait également partie de l’école de la gare.L'école Welter est située dans une rue calme avec des arbres et des maisons unifamiliales. Ici on est dans la partie la plus chic du quartier.

Raoul Albonetti Wir fangen diese Woche an mit der selben Übung, die wir letzte Woche schon gemacht haben. Mit den Modalverben.

Antoine Oh neen.

Raoul Albonetti Oh doch.

Pia Oppel Peu après huit heures du matin à l'école Welter, en cours d'allemand au cycle 4.

Raoul Albonetti Dann mach Mal einen ganzen Satz.

Mon nom est Albonetti Raoul. J'ai 42 ans et je travaille actuellement en tant qu'enseignant dans une petite école en Ville, l’école Michel Welter et oui, je m’occupe d’un cycle 4, c'est-à-dire une classe composée d’une cinquième et sixième année d'école fondamentale.

Pia Oppel Raoul Albonetti n’a pas suivi le parcours traditionnel. Il travaille depuis deux ans comme enseignant. Auparavant, il était entre autres acteur et animateur de télévision. À l'école aussi, il s'efforce de divertir son public le mieux possible pour ainsi le fidéliser. En tant que l'une des voix synchronisées de la version luxembourgeoise des Simpsons, les imitations font partie du répertoire de Raoul Albonetti en classe.

Raoul Albonetti Ja mei, da mache mer dass mal so, Antoine, da du aus Tirol stammst. Dann nimmst du mal jetzt den nächsten Satz. Ruhig Blut. Und du machst mir den Satz jetzt mal mit dem österreichischen Akzent.

Antoine Laura war am ersten Schultag traurig, denn sie konnte nicht mit ihren Grosseltern zur Einschulung gehen.

Raoul Albonetti Nein, nein, nein. Da bin ich nicht mit einverstanden, das ist jetzt Hochdeutsch. Das will ich nicht hören.

Antoine Ech ka keen ...

Raoul Albonetti Ah, ma du sos du wiers aus Tirol.

Antoine Dat wor e Witz.

Raoul Albonetti Ah, also gut. Nochmal.

Pia Oppel En tant que débutant dans cette profession, Raoul Albonetti n'a pas eu beaucoup de choix quant à l'école dans laquelle il pourrait travailler. En fin de compte, les postes difficiles, qui nécessitent vraiment une grande expérience professionnelle, sont souvent ceux qui restent quand les enseignants avec plus d’ancienneté ont fait leur choix. Comme une classe de cycle avec 18 élèves dans le quartier de la Gare.

Raoul Albonetti La grande question pour moi était, comment enseigner à deux classes différentes parallèlement ? C'était très chaotique pour moi et mes enfants. Mais ils étaient très compréhensifs, et les parents aussi, Dieu merci. Dès le début, j'ai mis les cartes sur la table, j'ai expliqué l'affaire. Et j’ai dit, voilà, moi aussi j'apprends encore.

Pia Oppel Mais Raoul Albonetti a de la chance, sa classe lui rend le travail relativement facile.

Raoul Albonetti Il s'agit d’onze élèves du cycle 4.2, dont sept vont entrer au classique. Ce sont donc des élèves doués.

Pia Oppel Et ils ont tendance à venir de milieux plus aisés: parmi les parents, il y a des juristes, des médecins, des économistes et des entrepreneurs.

Raoul Albonetti La plupart d'entre eux viennent de très bonnes familles. Pour deux ou trois, c'est moins le cas.

Voilà, dir Herrschaften. Da wënschen ech iech ee flotten, sonnegen Dënschdeg Nomëtteg.

Pia Oppel Dans l’école Welter il y a à peine 60 élèves. Ils sont répartis sur trois classes. Une pour chaque cycle. Dans cette partie du quartier, il n'y a pas assez d'enfants pour justifier une classe pour chaque tranche d'âge. Les enseignants de la rue du Commerce ont proposé de répartir différemment les élèves sur les deux bâtiments Welter et Commerce. L'argument était que la taille des classes serait alors plus équilibrée et qu'il y aurait plus de ressources, comme les classes d’appui pour les élèves plus faibles. Les secteurs scolaires séparés auraient alors été supprimés: les élèves de la première à la quatrième année auraient tous été dans le bâtiment Commerce, tandis que tout le quatrième cycle aurait été dans le bâtiment Welter.

Mais les parents de l'école Welter s’y sont opposés de toutes leurs forces.

Jean-Marc Cloos Nous avons fait en sorte que la fusion que souhaitait le président à l’époque, ne se produise pas. Dans l’inérêt de nos enfants.

Pia Oppel Jean-Marc Cloos est médecin et père de deux enfants qui vont à l'école Welter.

Jean-Marc Cloos J’aurais dû amener le plus jeune à l’un des bâtiments, et le plus âgé à l’autre. Pour moi, c'est déjà impossible, d’un point de vue géographique.

Pia Oppel Avec d'autres parents de l'école Welter, il a recueilli des signatures, envoyé des lettres aux responsables politiques et des communiqués à la presse. Devant la commission scolaire de la commune, Jean-Marc Cloos a clairement exprimé sa position. Une fois avec tellement de hurlements que le son du micro du représentant des parents a été coupé lors d'une visio-conférence.

La politique a cédé à la pression. Et ce conflit n'est pas seulement lié à la longueur des chemins d'école.

Chez la famille Cloos à la maison. Antoine montre ce qu'il apprend en ce moment en cours de piano. Il a 12 ans, et il est l'un des élèves de la classe de Raoul Albonetti -- vous vous souvenez, Antoine du Tyrol. Après l'école fondamentale, Antoine aimerait aller au Lycée des Garçons.

Antoine Au Lycée des Garçons, tu finis à quatorze heures. Ensuite, tu as deux heures supplémentaires d’options. Tu peux faire du sport ou suivre un cours de langue supplémentaire, comme le russe, le grec ancien, le japonais, et encore une autre, je crois le chinois, mais je ne suis pas sûr.

Pia Oppel En tant que fan de mangas et d'animés japonais, Antoine souhaite naturellement ...

Antoine ...apprendre le japonais, oui. Parce que je veux pouvoir regarder tous les épisodes plus rapidement et communiquer avec les gens au Japon le jour où j’y irai.

Pia Oppel L'entrée d'Antoine dans le classique n'a pas toujours été aussi évidente. Au cycle 3.2, c'est-à-dire en quatrième année d’école primaire, il a presque dû redoubler. Son enseignant à l'époque l'avertit que ses notes ne suffiront pas forcément pour aller au lycée. Son père intervient aussi.

Antoine Et il m’a dit que redoubler n’est pas sympa ou cool. Il vaut mieux travailler plus sérieusement. Donc, je me suis mis à travailler sérieusement et j’ai tout juste réussi l’année. Et en cinquième année, quand j'ai reçu mon bilan du premier trimestre, mon père n'a pas été de bonne humeur et m'a dit clair et net que j'allais avoir des cours de rattrapage. Et depuis que j’ai ma prof pour les cours de rattrapage, mes notes se sont progressivement améliorées.

Pia Oppel La famille Cloos investit de l’argent pour qu’Antoine et son petit frère se débrouillent mieux en français. Antoine avait six heures de cours de rattrapage par semaine au début, ses parents engagent une fille au pair francophone, et l'été, les enfants vont dans une école de langues à Nice.

Pia Oppel Pouvez-vous nous révéler combien cela vous a coûté, en tant que famille, pour y arriver ?

Jean-Marc Cloos Oh, ça a certainement coûté plusieurs milliers d'euros. C'est-à-dire que bien sûr, les enfants dont les parents ne peuvent pas se permettre ce genre de dépenses ont un désavantage.

Pia Oppel Comme beaucoup de parents, Jean-Marc Cloos et sa femme ont pris en compte la future école de leurs enfants à l’achat de leur maison. C’est-à-dire l'école Welter et pas celle de la rue du Commerce.

Jean-Marc Cloos Cette école a une réputation selon laquelle on ne peut pas entrer au lycée après. On n'a pas de classement des écoles fondamentales dans ce pays, mais ce classement existe dans la tête des parents. C’est clair.

Pia Oppel Avez-vous déjà regretté habiter dans le quartier de la Gare pendant la scolarisa tion de vos enfants ?

Jean-Marc Cloos Oui, parfois. C’est-à-dire que, quand on m'a dit que mon fils avait des problèmes en français, j'ai pensé qu'il aurait mieux fallu déménager au Limpertsberg ou ailleurs. Parce que je me suis dit que cela avait tout de même quelque chose à voir avec le quartier et la prise en charge ici.

Pia Oppel Jean-Marc Cloos ne s'attendait pas à ce que la situation de ses enfants s'améliore grâce à une fusion avec l'école de la rue du Commerce.

Jean-Marc Cloos Le problème était l’approche de cette fusion. Il a été dit qu’il faut remplir les classes avec les Luxembourgeois pour avoir suffisamment de personnel pour les enfants en difficulté. Alors je me dis: “donc, je vous envoie mon enfant pour que vous ayez plus de personnel, pour que vous puissiez résoudre les problèmes des autres enfants avec ce personnel.”

Le président de l'école nous a parlé pendant une demi-heure du temps nécessaire pour prendre en charge une famille entière de sans-abris. Alors je lui ai dit: "Écoutez, vous êtes enseignant, pas assistant social. C'est un problème social et ce n’est pas vraiment à vous de le résoudre. Et là, on a eu l'impression en tant que parents que l'on ne s'intéressait plus à l'éducation, mais seulement à " là, ça brûle, là, ça brûle et là, ça brûle aussi ".

Pia Oppel De retour à la rue du Commerce, où je rencontre un autre père dont les enfants vont à l'école de ce côté du quartier.

Luc Sinner Je m’appelle Luc Sinner. J'habite ici à la Gare depuis huit ans, j'ai deux enfants qui vont à l'école de la Gare, un au précoce et l’autre au cycle 2.2.

Pia Oppel Avez-vous hésité à envoyer vos enfants à l'école ici ?

Luc Sinner Je pense que je mentirais si je disais non, que j'étais tout de suite sûr de vouloir envoyer mes enfants à l'école ici. Je dirais que j'aime beaucoup vivre ici. Mais je ne voulais pas non plus me retrouver dans une situation où je serais constamment en train de courir dans toutes les directions. Mais il faut dire que la première fois qu’on voit l'école, on se pose des questions. Le cadre n'est pas vraiment accueillant. Les commentaires que l'on reçoit de l'entourage sont du genre: “oh, l'école de la Gare et le quartier Gare, c’est pas dangereux ?”

Pia Oppel En tant que Luxembourgeois travaillant dans une banque, il ne se considère pas comme le père typique de sa communauté scolaire.

Luc Sinner Aussi tout simplement parce que je sais que je représente une exception, ici dans cette école.

Pia Oppel Luc Sinner estime qu'il serait judicieux de fusionner les bâtiments scolaires du quartier. Mais il comprend l'opposition des parents de l'école Welter.

Luc Sinner Je pense que c'est tout à fait compréhensible. Tous les parents veulent le meilleur pour leurs enfants. Cela vaut pour moi comme pour les autres. Au niveau des parents, c'est tout à fait normal que tout le monde essaie de se positionner de façon à ce que les enfants aient le plus de chances possibles.

Pia Oppel Le classement des écoles est dans la tête des parents, selon Jean-Marc Cloos. C'est ce que Luc Sinner voit aussi d’une certaine manière. L'école de la rue du Commerce a un problème à cause de sa mauvaise réputation.

Luc Sinner Mais cette mauvaise réputation est pour moi en grande partie une façade, parce que j'ai rencontré des enseignants très motivés, je pense qu'il existe un bon travail éducatif à l'école ici. Et puis, il me semble aussi qu'on doit vaincre la peur d'amener ses enfants à l'école ici.

Pia Oppel La moitié des enfants à l'âge de l'école fondamentale ne vont pas à l'école du quartier de la Gare. Beaucoup vont dans des écoles privées. D'autres font du tourisme scolaire, ils fréquentent une école fondamentale dans un autre quartier de la Ville.

Pia Oppel Quel est le risque que vous disiez un jour, ça suffit, ça ne va plus pour moi ?

Luc Sinner Il y a bien sûr une ligne rouge, non ? C'est-à-dire que dès que je sens que mes enfants sont en retard par rapport aux autres enfants, même en dehors de l'école, j'ai la responsabilité envers mes enfants de dire " Ok, peut-être que je dois changer quelque chose.” Et je ferais certainement tout ce qui est nécessaire si c'était le cas.

Jusqu'à présent, je n'ai pas eu cette impression. Et je dois dire que cela dépend toujours un peu de la façon dont on voit les choses. Je pense qu'une école est plus qu'un simple transfert de matières. La dernière chose que je veux, c'est mettre mes enfants dans une bulle qui ne correspond pas à la société, donc je les laisserai aller à l'école ici aussi longtemps que je le jugerai raisonnable.

Pia Oppel Mais la situation n’est plus raisonnable. C'est la conclusion à laquelle est arrivé Rui Da Costa. C'est le troisième et dernier père dont je veux vous parler dans cet épisode. Son point de vue sur l'école est très différent de celui de Jean-Marc Cloos et de Luc Sinner.

[sonnerie de la porte]

Rui da Costa Jo, fënnefte Stack. Moien!

Pia Oppel Moien!

Joana Joana.

Pia Oppel Pia.

Witold Witold.

Rui Da Costa Milosz?

Milosz Milosz

Pia Oppel Rui Da Costa habite dans un appartement non loin de l'école Welter avec sa femme Joana et ses deux fils, Witold et Milosz. Jusqu'en deuxième année d’école fondamentale, Witold est allé à l'école ici et était l'un des meilleurs élèves de sa classe. En troisième année, il a changé d’école et va maintenant à l’école Sainte Sophie au Kirchberg, une école privée qui propose également le programme scolaire traditionnel. La décision n'a pas été facile pour Rui da Costa.

Rui Da Costa Je n’ai jamais voulu que mes enfants aillent dans une école privée. ça n’a jamais été mon truc, parce que je viens d'une famille modeste. Mais je ne voulais pas qu'ils aillent à l’école dans la rue de Strasbourg.

Pia Oppel La famille Da Costa a refusé d’observer passivement la discussion sur l'organisation des écoles du quartier.

Rui Da Costa Une pétition est arrivée, ensuite la Ville a changé d'avis et nous a dit: "Non, on ne procède pas avec la fusion". En avril de cette année, l'histoire a recommencé et c'est embêtant. Tu ne sais pas ce que se passe avec tes enfants, ils vont là-bas, est-ce que l’un reste ici ? Et là, je suis devenu furieux. Et c'est pourquoi nous avons pris une décision avec Joana, je sais, notre logistique n’est pas super. Mais on a un beau tram qui est gratuit, qui est pratique, et on accompagne les enfants à l’école Sainte-Sophie, voilà.

Pia Oppel Le fait est que Rui Da Costa est lui-même allé à l'école de la Gare dans les années 80. Dans la rue de Strasbourg, c'est-à-dire dans l'ancienne école qui se trouvait à l'époque au coin de la rue du Commerce. Ses parents travaillaient en équipe à l'imprimerie Centrale. À la maison, la famille parle portugais. Et à l'école, les choses ne se sont pas bien passées pour Rui da Costa.

Rui Da Costa J’ai eu de la chance, parce que l’enseignante de la sixième année d’école primaire a vu que j'étais très faible en allemand, et elle m’a donné des cours d'appui chez elle. Elle a toujours pensé que j'étais très bon dans toutes les matières, sauf en allemand. Elle m’a dit: "Nous allons essayer de te faire entrer au préparatoire.” Parce que, de toute façon, les enfants de la rue de Strasbourg n'avaient que très peu de chances d'aller directement au lycée. Je pense honnêtement qu’il y en avait un seul qui a été accepté au Michel Rodange. Mais c'était un Luxembourgeois qui parlait très bien l'allemand.

Pia Oppel Rui Da Costa a eu de la chance dans la malchance une deuxième fois au cours de son parcours scolaire. Au LTB, le Lycée Technique de Bonnevoie. En dixième année, il échoue à l'examen de rattrapage en allemand. Et l'année suivante, quand il recommance en dixième année, sa nouvelle classe lance un groupe de théâtre.

Rui da Costa Le nom de la troupe était El Tebissimo. Et le directeur était très fier de nous. Enfin une image positive pour le LTB, le théâtre, la culture.

Pia Oppel La troupe participe à des concours de théâtre entre lycées.

Rui Da Costa Et c'est ainsi que je suis allé au Conservatoire, parce que le jury voulait nous voir au Conservatoire. J'ai ensuite fait un casting pour jouer dans la pièce de Guy Rewenig "Eisefrësser" avec Frank Hoffmann, où j'ai rencontré tous ces gens. Où j'ai rencontré Steve...

Pia Oppel L’acteur Steve Karier.

Rui Da Costa ... Steve m'a dit que j’étais la personne idéale pour jouer un étranger portugais parce que c’était une pièce sur l'immigration et [rires] il m'a dit que mon luxembourgeois était vraiment mauvais, mais que c'était parfait pour ce rôle. Et il avait raison, parce que j'étais effectivement très mauvais.

Pia Oppel Rui Da Costa travaille actuellement en tant que comptable. Et il est convaincu que le théâtre lui a permis de réussir son ascension sociale.

Pia Oppel Tu as bien réussi. Peut-on dire ça comme ça ?

Rui Da Costa Oui, parce que je voulais devenir quelqu’un. Et le théâtre m'a aidé à ce niveau. Parce que tu vois, si ton école n'a pas d'activités culturelles, et c'était mon cas, tu te dis: “d’accord, il n'y a rien à faire ici“. Mais si tu trouves une activité culturelle, ou une activité sportive, je pense que cela aide beaucoup pour que les gens travaillent un peu plus à l'école, parce qu'ils font quelque chose qu'ils aiment. La culture m'a beaucoup aidé à progresser.

Pia Oppel Rui Da Costa souhaite que ses enfants aient plus de facilités que lui. Son souci est que le niveau scolaire dans la rue du Commerce est tout aussi faible qu’autrefois. Et que les enseignants n'attendent pas grand-chose de leurs élèves.

Rui Da Costa J'ai peur que l’enseignant pense que le niveau est trop bas, c'est-à-dire que mon enfant aurait alors le même niveau. Je pense que nous devons donner une chance à tout le monde et que chacun doit suivre le même programme. Et je ne veux pas que les enfants vivent ce que j'ai vécu à l’époque, et c'est ce qui m’a fait peur par rapport à mes enfants.

Pia Oppel "La diversité sociale est une bonne chose, mais il faut y avoir des limites". C'est ce que m'a dit une mère du quartier de la Gare à qui j'ai parlé de la fusion des deux sites scolaires. Et cette phrase me semble décrire une réalité qui existe en dehors de cette situation du quartier de la Gare. Une réalité à laquelle notre système scolaire est confronté. Ceux qui peuvent se le permettre cherchent à créer le meilleur environnement scolaire possible pour leurs enfants. A travers le choix du lieu de résidence, à travers le tourisme scolaire ou encore le passage à une école privée.

Pour les écoles dans les milieux socialement vulnérables, cela risque de devenir un piège.

[sonnerie du téléphone]

Andreas Hadjar Hallo, hier ist Andreas Hadjar

Pia Oppel Hallo, Pia Oppel von radio 100,7. Das hat jetzt direkt geklappt, super.

Pia Oppel Andreas Hadjar est sociologue de l'enseignement. Il analyse l'influence de l'environnement scolaire sur les performances des élèves de l'école fondamentale luxembourgeoise. Et il dit que si les enfants dits "défavorisés" sont majoritaires dans leur classe, cela accroît leurs difficultés.

Andreas Hadjar Alors pourquoi est-ce que c'est le cas? Dans ces environnements, les élèves les plus susceptibles de redoubler sont ceux avec des déficits de performance et souvent avec un manque de motivation. En fin de compte, il manque à ces élèves aussi d'autres élèves avec de meilleures conditions d'apprentissage comme ressource. Parce que, quand on a des camarades de classe qui aiment l'école par exemple, on peut aussi faire les devoirs ensemble. Au moment où les "meilleurs" élèves, si vous voulez, sont absents, un tel échange n’aura pas lieu.

Pia Oppel Le chercheur a également remarqué que les enseignants se comportent différemment selon l'environnement scolaire.

Andreas Hadjar Des enseignants, au Luxembourg, nous ont dit que: "Oui, dans ces classes, on ne travaille pas avec un objectif d'apprentissage spécifique en tête. Il faut plutôt se réjouir lorsque les élèves atteignent un certain bien-être, c'est-à-dire se sentent bien. Et surtout, quand ils continuent à suivre les cours. D’une part, c'est une bonne chose, parce que nous avons besoin de bien-être à l'école, et nous devons nous efforcer de trouver comment réduire l'aliénation scolaire. Mais d'un autre côté, cela signifie qu'on ne fixe pas de vrais objectifs pour ces élèves.

Et bien sûr, nous savons que dans ces classes, il y a aussi plus de difficultés au niveau de la discipline. Et nous savons que même les élèves qui ont envie d'apprendre sont plus susceptibles de se plaindre dans les discussions de groupe, car leur environnement les perturbe et les empêche d'apprendre. Il y a beaucoup d'études qui montrent que dans des environnements aussi homogènes, tout le monde a quelque chose à perdre.

Pia Oppel Mais partager différemment les ressources scolaires ou même amener les enfants en bus vers d'autres écoles demande beaucoup de courage de la part des responsables communaux chargés de l'organisation de l'école. Et l'expérience acquise à l'étranger montre que des décisions visant à augmenter la mixité sociale n'ont pas toujours l'effet escompté. C'est parce que les familles les plus privilégiées trouvent souvent des façons et des moyens d’y échapper.

On peut aussi donner plus de moyens financiers aux écoles dans des environnements difficiles. Par exemple, pour que plus d'enseignants puissent être présents dans une classe.

Andreas Hadjar Cela signifierait aussi certainement des investissements dans le personnel enseignant, et aussi des investissements dans le personnel de soutien. Parce que la plus belle école mixte n'apporte pas grand-chose si elle n'inclut pas des enseignants qui savent gérer la situation. Certains pays le font ainsi : ils investissent énormément dans le corps enseignant. C'est souvent le cas dans les pays nordiques.

Pia Oppel Ouvrons une brève parenthèse à propos du thème des ressources humaines. Au Luxembourg, les écoles avec des élèves plus défavorisés reçoivent en effet plus d'argent. Pour faire cela, il faut bien sûr savoir exactement où se situent ces écoles.

Jean-Marc Cloos On n’a pas de classement des écoles primaires dans ce pays, mais ce classement existe dans la tête des parents.

Pia Oppel Ce classement n'est pas seulement dans la tête des parents. Mais il existe aussi en noir et blanc dans un document non publié du ministère de l'Éducation. Pour chaque commune et école fondamentale du pays, on examine les milieux d'origine des élèves. Quelles langues sont parlées à la maison, que gagnent les parents, s’agit-il de familles monoparentales ou de parents au chômage ?

L’existence d’un tel classement socio-économique des écoles n’est pas secret. Mais il n'est pas publié par peur de stigmatiser les écoles.

Ce n'est pas un argument convaincant à mon avis. Si on veut améliorer quelque chose, les faits doivent être connus. Et le classement dans la tête des parents existe de toute façon. J'ai donc fait une demande au ministère de l'Éducation pour pouvoir voir ce document. Et en me référant à la loi sur la transparence, j’ai effectivement pu l’obtenir.

Parmi les écoles les mieux classées sur le plan socio-économique, on trouve par exemple Reckange-sur-Mess, Niederanven, Garnich ou encore Weiler-La-Tour. Ces communes envoient environ 70% de leurs élèves au classique.

Les élèves de la région de Differdange, Troisvierges, Wiltz ou Esch sont parmi les plus démunis sur le plan socio-économique. Il y a environ 20% des enfants qui ont été orientés vers le classique.

Si notre système scolaire était plus équitable et si, par exemple, la formation professionnelle était mieux valorisée, il ne devrait pas y avoir d'écart aussi extrême lors de l'orientation entre les communes pauvres et riches.

Et le problème est que ces disparités extrêmes ne se reflètent absolument pas dans la répartition des ressources. La loi impose notamment une certaine limite. Pour les écoles défavorisées, un maximum de 20 pourcent d'augmentation des moyens financiers est prévu. Le ministère de l’éducation peut mettre à disposition des enseignants supplémentaires et c’est ce qui se passe. Mais il n’y a pas que les écoles à faible score qui en profitent.

Et puis, il y a un autre problème. Les communes avec plusieurs écoles peuvent décider elles-mêmes de la manière dont elles distribuent leurs enveloppes de personnel entre celles-ci. Et ainsi, l’idée de la répartition selon les besoins sociaux est souvent encore davantage diluée, critique l'Observatoire national de la qualité scolaire.

Il est donc clair que dans les conditions actuelles, nos écoles sont moins capables de gérer les inégalités sociales que dans d'autres pays.

Pourtant, notre système scolaire n'est pas forcément en manque de ressources. En tout cas, lorsqu’on compare la situation à celle à l’étranger. Le Luxembourg est l'un des pays au monde qui compte le plus d'enseignants par élève et ces enseignants sont parmi les mieux payés.

J'aimerais encore vous raconter une dernière histoire à la fin de ce podcast.

Dans le quartier de la Gare ce n’est pas seulement la fusion des bâtiments scolaires qui a été empêchée. Mais un autre projet a aussi échoué : celui d'une école à journée continue.

Lynn Thommes A vrai dire, on a toujours rêvé de ça.

Pia Oppel Lynn Thommes travaille depuis 18 ans comme enseignante à l’école Welter à la Gare en Ville. Il y a quelques années, son équipe a eu l'occasion de réaliser le rêve d'une école à journée continue.

Lynn Thommes Soudainement, la commune a fait une demande pour trouver un quartier ou une école qui accepterait de participer à la création d'une école à journée continue.

Pia Oppel L’école Welter est retenue pour le projet.

Lynn Thommes Il faut dire qu’il y avait beaucoup de volonté. Parce qu'il était clair pour nous que c'était la seule, ou l'une des seules façons de réduire le fossé entre les élèves forts et les élèves plus faibles.

Pia Oppel Un groupe de travail est mis en place. Un bureau d'architecture prépare une maquette pour un nouveau bâtiment.

Lynn Thommes C'était génial. Et on avait prévu d’ouvrir un espace d’accueil pour les parents, où on pourrait créer un café pour les parents, tu sais. C'était vraiment cool, c'était super sympa. On avait prévu un toit plat, avec un jardin au-dessus, comme un jardin scolaire et ainsi de suite.

Pia Oppel L’idée était donc d’impliquer les parents davantage. Et les enfants n’auraient plus la navette entre l'école et le foyer. Les enseignants et les éducateurs auraient travaillé main dans la main pour la prise en charge dans un bâtiment commun.

Lynn Thommes Le matin à partir de sept heures et demie ou huit heures, je ne sais plus, il devait y avoir un accueil. Et puis, je pense que les cours devaient commencer à huit heures et demie, et puis il devait y avoir une sorte d’accueil avec petit-déjeuner ou quelque chose de ce genre pour les enfants qui n'avaient pas encore mangé en arrivant à l’école. Parce qu’on s’est rendu compte que beaucoup d'enfants arrivaient à l'école sans avoir mangé, ce qui crée de gros problèmes de concentration. C’était censé être une phase où les enfants pouvaient travailler tranquillement ou terminer quelque chose, ce genre de chose. Et après, il était prévu que les enfants restent à l'école jusqu'à trois heures et demie ou quatre heures.

Pia Oppel Le mardi et jeudi après-midi, il ne devait pas y avoir d’enseignement classique. L'idée était que les enseignants et les éducateurs assurent ensemble la prise en charge de ces enfants ces après-midi pour encadrer les devoirs et proposer des activités.

Lynn Thommes Il y a eu beaucoup d’inquiétudes dans le quartier. Et certains parents étaient vraiment fâchés. Ils se sont fâchés en disant que ce n’était pas possible, parce qu'il y avait entraînement de rugby ou solfège ou quelque chose comme ça. On y avait pensé, mais ce n'était pas notre priorité dans ce court laps de temps, on voulait aussi proposer des activités à l'école, respectivement amener les enfants aux activités, ou proposer des sports au gymnase, etc. Mais on en est jamais arrivé là, pour pouvoir continuer à planifier.

Pia Oppel Sans explication, l’échevine de l’école publique en Ville a arrêté le projet peu après les élections municipales de 2017. Bien que le nouveau conseil d'échevins du DP-CSV ait tout juste inscrit l'école à temps plein dans son programme de coalition.

Lynn Thommes C'était vraiment dommage. Et un jour, tu en as marre. Tu te dis: bof. Tu deviens comme ça…enfin, oui.

Colette Mart Si on veut contribuer à l'égalité des chances en tant que commune, on doit promouvoir le dialogue entre les écoles et les foyers.

Pia Oppel Voici Colette Mart du DP. Elle est échevine de l’école publique en Ville entre 2011 et 2023 , et a initié le projet de l'école à journée continue à la Gare. Pour ensuite de nouveau le faire disparaître dans son tiroir.

Colette Mart Je pense encore aujourd'hui que c'était la bonne décision. Je ne pense pas qu’on aurait trouvé de solution. Oui, ça commence comme ça: il y en a un qui se plaint que si l'école dure jusqu'à trois heures et demie, sonenfant ne pourra pas aller au Conservatoire à deux heures. Ou certaines personnes pensent qu'une école à journée continue attirer beaucoup d'enfants vulnérables d'autres quartiers. Parce qu’on l’avait prévu ainsi, que les enfants pourraient aussi venir d'autres quartiers.

Pia Oppel Pourtant, il y avait une idée d’offrir une alternative aux parents qui s’y opposaient.

Colette Mart Mon idée à l’époque était qu'il y a une autre école dans le quartier. Donc, les parents qui ne veulent pas de ce modèle auraient pu envoyer leurs enfants dans cette autre école. Ce que je ne savais pas à l'époque, c'est que beaucoup de parents ne voulaient pas que leurs enfants aillent à l’école de la rue du Commerce.

Pia Oppel Il n'y a pas eu d'opposition ouverte au projet de l'école à journée continue. Il est difficile de dire pourquoi l’échevine de l’école publique a perdu son courage politique. Les critiques de certains parents ont certainement joué un rôle. Mais ce que Colette Mart ne dit pas, c'est qu'il y a aussi eu des hésitations au niveau du service scolaire de la Ville par exemple.

Après de nombreuses recherches auprès du conseil d’échevins, de l'opposition, des enseignants et des parents du quartier, je suis arrivée à la conclusion que surtout une chose précise manquait. Un lobby pour les enfants qui ont du mal à se débrouiller dans notre système scolaire et qui auraient bénéficié de ce projet.

Des enfants comme Estrela, que vous avez rencontrée au tout début de ce podcast. Estrela qui pense à huit ans qu’elle n'est pas intelligente. Elle cherche d’abord la faute de ses difficultés scolaires chez elle-même. Mais elle se demande aussi comment la situation pourrait changer. J’en ai parlé avec Estrela et sa mère Isabelle.

Isabelle Estrela, au début elle me disait toujours, je veux être président des écoles. Mais elle a dit, pas la présidente qui est là au bâtiment. Je veux être la présidente de la présidente. Alors tu veux devenir ministre de l'Education? Et elle me dit, c'est la femme qui est en charge de tout? Et je dis, oui, oui. Alors c'est ça que je veux [rires].

Pia Oppel Tu me racontes ton histoire, qu'est-ce que tu voulais devenir?

Estrela Présidente de l'école [rires]

Pia Oppel Et pourquoi ?

Estrela Parce que comme ça, tu sais, je peux dire ce que tu dois faire.

Pia Oppel Alors qu'est-ce que tu aimerais changer à l'école ?

Estrela Je ferais en sorte que les enseignants ne crient pas autant sur les enfants. Je changerais aussi le nombre de devoirs, j’en ai beaucoup trop. Beaucoup trop. Notre enseignante nous donne des textes très longs à recopier. Une dictée très longue.

Pia Oppel Comment fais-tu quand tu dois faire une dictée à la maison ?

Estrela Ma maman, pour que ça aille plus vite, elle accroche la dictée ici et je la recopie. Parce que ma maman, elle ne sait pas lire l'allemand. C’est pour ça qu’elle fait ça. Mais elle apprend. Je vais lui apprendre. Elle devient meilleure. C’est sûr.

Pia Oppel J'aimerais pouvoir partager l’optimisme d’Estrela. Que la situation va s'améliorer, que notre système scolaire va s'améliorer et devenir plus juste.

Au cours de ce projet, j'ai rencontré beaucoup de gens qui sont convaincus que c’est non seulement nécessaire, mais aussi possible.

Tun Fischbach Je suis tout simplement convaincu qu'un système scolaire équitable est le fondement d'une société véritablement démocratique.

Karin Elsen Quand on voit que quelque chose n'est manifestement pas juste, il faut essayer d’y changer quelque chose.

Sandra CarvalhoC'est une mission, je le vois comme une mission. Je veux aider ses élèves à réussir.

Sarah Scholtes J'espère que ce projet va continuer. Parce que je pense qu'en terme d'opportunités, cela rend le système scolaire luxembourgeois plus juste pour nos enfants.

Pia Oppel Et pourtant, j’ai des doutes. En effet, il ne suffit justement pas que des personnes individuelles fassent de leur mieux.

Edith Jacobs Les écoles luxembourgeoises ne se sont pas considérées comme nécessitant un changement, je pense. Il aurait fallu être plus nombreux qu’un petit groupe pour pouvoir faire adopter ce changement.

Pia Oppel Vous étiez des combattants solitaires ?

Edith Jacobs Oui.

Pia Oppel Nous aimons bien dire que nous avons besoin d'un système scolaire de bonne qualité et équitable. Et que c’est non seulement dans notre intérêt général, mais aussi dans notre intérêt personnel.

Mais y croyons-nous vraiment?

Ceci était "Mauvais élève", un podcast de radio 100,7. Recherche et rédaction: Pia Oppel et Pierre Reyland. Soutenu par Tessy Troes, Jean-Claude Franck, Rick Mertens, Chris Zeien, Semir Demic et Marie Trussart. Son et arrangements musicaux: Chris Simon. Coordination: Yves Stephany. Traduction: Philip von Leipzig.

Notre musique de titre, le "Gassenhauer" du Orff-Schulwerk, a été enregistrée sous la direction de Laurent Warnier par des élèves du Conservatoire de la Ville de Luxembourg. Merci à Joé Alff, Constantin Barbu Ravoux, Michael Calnan, Felix Dunkel, Laurie Krier, Ina Molakava, Lola Schleicher, Julian Seredynski, Youqian Lulu Pang, Louis Thill et Eloïse Twimumu.